Grève générale ?

J’ai bien parcouru « Réapprendre à faire grève » (super bouquin, lisez le) et il me vient un truc (naturel quand on le lit, donc lisez le) sur les reproches du manque d’appels à la grève générale des grands syndicats nationaux. L’approche du 5 décembre a, comme d’habitude, posé à nouveau cette question par-ci par-là, l’occasion d’en faire un billet. Pourquoi ces reproches sont-ils hors sol et incantatoires ?

Premièrement, les personnes les plus à mêmes de les formuler ne sont tout simplement pas adhérentes à un syndicat. Ça m’a toujours interpeller que des personnes elles-mêmes non militantes de ces organisations puissent leurs demander des comptes. Elles n’ont par ailleurs qu’une vision partielle de leur fonctionnement (qui ont chacune le leur, parfois très éloigné voir opposé) et aucune idée des forces (ou plutôt l’absence de…) qui les composent. Elles ne peuvent donc pas se rendre compte qu’il n’y a tout simplement, et c’est dur de le dire, plus de militant ou presque.

Les syndicats tiennent, comme tous les contre-pouvoirs aujourd’hui il me semble, sur quelques épaules bien trop lourdes du fait d’un désengagement des salarié.es et adhérent.es dans la vie syndicale. Et les militant.es qui assument le job sont, d’une part, bien souvent coincé.es (parfois volontairement, ne voyant pas l’intérêt de la branche ou l’interpro) dans leurs luttes internes face à leurs patrons, conséquences des différentes lois sur l’organisation du « dialogue social » au niveau des boîtes ; d’autre part à cumuler sans cesse les mandats car personne pour pouvoir les distribuer (et qui peut rendre paradoxalement difficile le partage des tâches avec les militant.es présent.es plus ponctuellement). Il en résulte un syndicalisme encore capable de communiquer, mais absolument pas de mobiliser massivement. Certain.es me diront que tout de même, nous étions des millions dans la rue pendant les manifestations contre la réforme des retraites l’année dernière. Je réponds que certes, mais sur des temps très court (le temps de la promenade), qu’aucune reconductible ne s’est mise en place, que les assemblées générales ont été fui par les manifestant.es malgré des appels répétés (et très peu de spontané). Sans même parler que si on peut se flatter d’avoir atteint les 2 millions de manifestants, on est loin de la marée populaire. Par ailleurs, cette mobilisation a pu entraîner quelques adhésions, mais ni massive, ni de militant.e. Cela illustre que malgré les appels clairs à la grève générale, elle ne s’est pas produite.

Deuxièmement, le fantasme d’un retour des grandes grèves comme celles du passé n’est plus d’actualité depuis longtemps. L’individualisme a progressé, l’organisation du travail a changé de forme avec les sous-traitances et uberisation massives, la gauche révolutionnaire n’a quasiment plus voix au chapitre. Le réformisme porté par certains syndicats, prônant le syndicalisme d’accompagnement plutôt que de confrontation, a renvoyé le politique aux partis. C’est, pour illustrer, le « laissez nous faire, on va négocier vous aller voir » par le haut plutôt que de mobiliser sur les piquets de grève par le bas. Cela a provoqué une technicisation des militants qui négocient en petits nombre toujours plus d’items au détriment des revendications collectives. Autre illustration. Aujourd’hui la priorité est donnée à l’expertise sur des questions pointues comme le code du travail, les questions liées à la sécurité, santé et conditions de travail (connaître les normes concernant le radon, sa mesure, son traitement et le suivi par exemple), au lieu de construire nos revendications sur nos expériences de vies pour les améliorer (j’ai un reste à charge sur mes lunettes, c’est quoi ce bordel luttons pour une meilleur sécu).

Troisièmement, l’hégémonie culturelle du capitalisme rend l’organisation collective difficile car largement décriée dans les espaces médiatiques de masses (télévision bien entendu, grands quotidiens, …). Ils s’occupent plus de s’arrêter sur un évènement choisi (des « débordements » par exemple, avec un abri de bus pété) que l’enchaînement d’action qui a mené à cet évènement (smicardisation généralisée, absence de repère dès l’école avec de multiple causes comme des réformes permanentes de l’éducation nationale à l’absence d’accompagnement à la parentalité, constat d’échec de « l’ascenseur social », absence de perspective positive, refus de la compétition partout tout le temps, …). Il existe peu de média de gauche anticapitaliste à gros tirage mis à part peut-être l’Humanité, le reste étant bien loin de nos positions, et aucun spécialisé sur l’économie (Alternative économiques étant plutôt keynésien). Y a une expression que j’entends régulièrement qui illustre bien le concept je trouve. On entend souvent dire que c’est utopiste de penser que le communisme (le vrai, dans sa forme la plus pure, pas celui du PCF) pourrait s’appliquer et fonctionner à l’échelle d’une société, que c’est impossible pour X ou Y raison. Étonnamment, le capitalisme n’est jamais remis en cause par le même prisme. C’est pourtant utopiste de penser qu’il pourrait être égalitaire, contrôlable, juste (ajouter le qualificatif positif qu’il vous plaît) alors que l’exploitation et la domination sont des piliers de son fonctionnement. Alors on nous répond que ça reste moins pire. Mais moins pire pour qui ? Pour quoi ? Des enfants bossent encore à l’usine aujourd’hui dans le monde, la planète va être de moins en moins vivable pour notre espèce (pendant qu’on en fait disparaitre une quantité colossale), pourtant, ce système n’est que rarement remis en cause aussi radicalement que le communisme. Et c’est depuis si longtemps que plus le temps passe, plus cette hégémonie est ancrée, rendant inaudible le moindre discours pour une autre société.

En conclusion, il n’y a pas de recette miracle : pour obtenir la grève générale, il faut se taper le boulot de terrain et renforcer les syndicats. Peut-être sont-ils dépassés, en attendant, il n’existe pas de contre-pouvoir de « masse » autre aujourd’hui. Mais jusqu’à quand le resteront ils, vu l’inexorable tendance à la baisse de leurs effectifs ? Et ensuite, quoi faire d’autre qu’attendre le grand soir (c’est déjà le cas dans un sens) et croiser les doigts que ce soit pour nos idées et non celles de nos ennemis ? J’ai bien peur qu’aujourd’hui, c’est le fascisme qui est en pôle position pour triompher…

À bientôt en AG