Rétrospective lutte retraite 2023

Quelques camarades ont encore du mal à entendre que ça y est, c’est fini, on a perdu. Pour moi c’est important de l’assumer, qu’on prenne maintenant le temps d’analyser ce qui s’est passé depuis janvier avant que l’été n’arrive. On a vécu une séquence très intense, et si nous n’avons pas obtenu le résultat escompté, il y a de bonnes choses à retenir. J’expose ici un peu comment j’ai vécu ça. 

Dans ma boite, le travail a été plus facile que dans beaucoup d’autres du fait qu’on est en lutte active depuis déjà fin 2021. Les collègues étaient déjà habitués à être en grève de manière régulière, à se mobiliser. Alors quand il a fallu y aller pour les retraites, un grand nombre a répondu présent (50% des effectifs dans certains dispositifs !). L’enjeu était ailleurs : construire la grève reconductible, outil encore moins répandu dans le service que dans l’industrie (à part quelques exemples notables comme la lutte des femmes de chambres d’Ibis). Il y a plusieurs obstacles qui se répètent entre comment être visible, déculpabiliser les collègues éducateurices de manquer quelques rendez-vous, manger en fin de mois dans un secteur soumis à une smicardisassions avancée, faire face aux collègues et hiérarchies non-grévistes… Bref, tout militant syndical connait ce genre de bail. Mais alors, comment contrer cela ? 

La base du boulot pour mobiliser largement, c’est je pense l’information. Et à ce niveau on a cartonné pas mal. Grâce à un accord d’entreprise de 2021, le syndicat peut communiquer librement sur les boites mails professionnelles (personnelles ou de services). Ce qui fait qu’avant chaque manif au moins, un courriel partait avec tract départemental accompagné d’un court texte à notre sauce où on rappelait les bases : d’où vient la retraite, les inégalités pauvres/riches, c’est quoi le libéralisme, vive l’anticapitalisme (pour résumer), etc. Je crois que la direction se mord un peu les doigts de ne pas avoir mis de limite aux nombres de mails, même si avec la fin de cette lutte on a largement ralenti, pour ne pas gaver les collègues. Uniquement des retours positifs, de personnes grévistes ou non, ça a fait plaisir.  

Ensuite le taf était de garder les personnes mobilisées au-delà de la manif. Je pense surtout aux AG de grévistes en interpro, et de ce côté, comme partout, ça a été la catastrophe. Dans la boite c’est au maximum 5 collègues avec qui on s’est retrouvé, dans des AG de toutes façons fuient par l’ensemble des militants toutes branches confondus (même si une poignée en tenait en interne de leurs entreprises). Terrible échec. 

Enfin, il aura fallu travailler à faire participer les camarades aux actions en marge des manifestations : blocages, tractages, collages, etc. C’est sur ce point que je me retourne avec le plus de joie, réussir à convaincre la section de l’importance de bloquer le pays d’une part, et de nouer des liens avec Solidaires (et donc l’interpro) d’autre part. Les deux tiers des membres de la section auront participé plus ou moins activement à ces actions et en sont sortis certes épuisés, mais surtout satisfaits d’avoir rencontrés du monde d’autres secteurs, d’avoir expérimentés de nouvelles pratiques, et de s’être confrontés à la violence de nos ennemis et de la voir s’abattre.  

Cependant, dans ce contexte global, aller vers la reconductible était impossible entre isolement, crainte pour ses revenus, etc. Et je pense qu’en organisant des manifs tous les 15 jours, on rate l’essentiel : le blocage de l’économie par la grève générale et massive. Mon avis, c’est que conscient de nos faiblesses, nous ne sommes pas en capacité de proposer mieux sans se foirer. D’ailleurs les actions hors manifs étaient tenues par le même petit noyau qui se sera épuisé à la tâche pendant 4 mois. Mais ça traduit aussi une frilosité des syndicats, dont la force est nivelée par le bas du fait des syndicats réformistes avec lesquels les syndicats de luttes, en position délicate, ont dû s’adapter au nom de l’unité syndicale. Je ne conteste pas cette stratégie, mais de base elle se contre facilement à peu cher pour le gouvernement. 

Pour conclure, je retiendrai le positif. D’abord une mobilisation exemplaire de ma section syndicale et qui perdurera, avec une vague d’adhésions que nous devons maintenant former, qui donne des perspectives réjouissantes. Ensuite l’unité syndicale, si elle aura été inefficace pour la victoire, aura aidé cette vague, même si là encore les réformistes inutiles risques d’en prendre la plus grosse part. Enfin, tout ce qu’on a pu vivre pendant les actions, entre solidarités, pneus brûlés, créativité, moments dansants et chantants, tout ce qui fait de la lutte un moment heureux, de joie. C’est probablement ça que je chérie le plus dans la lutte. 

À bientôt dans la rue