Donner du sens à la lutte

Aujourd’hui on va parler un peu de lutte du quotidien, ce qui passe inaperçu, à travers mon vécu. C’est très personnel, imparfait, mais je pense que ça me correspond bien. J’arrive au bout de mon 1er mandat d’élu et de délégué syndical. Bientôt 3 ans au service de l’intérêt collectif et individuel (ça claque). Il y aura eu de l’attendu et son contraire. Tour d’horizon.

Parlons mandat

Nous partions à 4 sur la liste SUD santé sociaux aux élections CSE de juin 2022, sans transmission directe des « anciens » qui ont raccroché les gants après avoir essuyés trop de coup. Malheureusement, les évènements de la vie feront que nous nous retrouverons vite à 2 : moi-même et une camarade suppléante devenu titulaire par la force des choses, celle-ci ayant prévenu en amont qu’elle serait très peu investi. En parallèle, j’étais mandaté délégué syndical par ma section. À peine arrivé dans la boite (fin avril 2021), et déjà je passais un tiers de mon temps de travail sur mes missions de défense des collègues plutôt que comptable. Ça s’aggravera courant 2023, puisque j’irai m’investir au niveau départemental, régional et national de notre syndicat et fédération. On ajoute à ça un mandat de défenseur syndical fin 2024, ne me voilà plus qu’une journée par semaine en moyenne en comptabilité. Elle est contente de m’avoir recruté ma cheffe ! Bon, on ne va pas se le cacher, tout ça c’est de la faute à mon côté révolutionnaire et son bagage communiste libertaire qui estime qu’il faut être partout pour mettre fin à ce fichu capitalisme. Mais ça reste plus simple ici, puisque c’est majoritairement sur le temps de travail et donc payé, j’ai moins de mérite que les camarades de l’UCL, pour ne citer qu’elleux, qui doivent se taper le boulot uniquement sur leur temps perso. Ici on respecte la culture du sacrifice aménageable. Bref, je m’égare.

Parlons du quotidien

Un truc m’a semblé naturel (et pourtant je faisais figure d’exception au milieu des autres élu.es non syndiqué.es), c’est que la base du boulot, c’est de rencontrer les collègues sur leurs lieux de travail. Et pas seulement pour remuer la merde ! La première approche était avant tout de comprendre leur taf de travailleureuse social, et les (dix) milles nuances qui vont avec, qui m’était globalement inconnu. Comment écouter et porter la parole si on ne sait pas de quoi on parle ? En 3 ans, j’ai pu apprendre à connaître des dizaines de service divers, dans des domaines variés avec autant de pratiques et de publics accompagnés différents, d’organisations propre. Et évidemment, humainement, ça représente plusieurs centaines de personnes. Je dirais au moins la moitié de « l’association » (est-on encore une association quand on emploie plus de 600 personnes ? Vous avez 4 heures), soit 300 collègues. Pas toujours pour de longs échanges, mais au moins se présenter. Ça en fait du monde mine de rien. Et pourtant je ne suis pas le plus sociable du coin… Mais c’était grave intéressant ! La partie sympa du job : tu te promènes, personne n’a le droit de t’en empêcher, et tu discutes avec qui tu veux. Enfin, c’est cool jusqu’au moment où tu tombes sur le service en crise avec des collègues qui te déposent des dingueries et qu’il faut analyser : comment c’est gérer par les collègues du service, la hiérarchie, quels impacts ça a sur elleux et les personnes accompagnées, quelles démarches sont à entamer pour solutionner les problèmes… Et ça, dans une boite aussi grande, c’est monnaie courante malheureusement. Nous sommes dans un secteur qui n’a plus les faveurs du capitalisme depuis longtemps (30 % de perte de valeur des salaires en 25 ans), comme tant d’autres, ce qui s’accompagne forcément par des crises récurrentes. Mais on gère ce qu’on peut, comme on peut. Enfin on…

Elle aura été là la difficulté principale des 3 ans, ce « on » qui n’existe qu’en partie. Comme exposé plus haut, je me retrouve vite isolé dans un CSE composé d’élu.es non syndiqués, pour certains depuis 20 ans dans les instances, avec une vision pourtant réduite de ce qu’est le taf comme je le perçois. Heureusement, je peux compter sur les membres de la section syndicale qui apportent avis et conseils. Mais c’est sur leur temps personnel, et quand iels peuvent. C’est difficile au quotidien, que ce soit pour gérer tout ce qui se passe (dans la boite, dans les autres où les camarades ont besoin de soutien) ou pour garder au moins l’esprit d’un travail collectif. Ça va vite de rendre les mandats très personnels. Je suis à peu près sûr de ne pas être tombé dans ce piège, mais je reconnais qu’il est compliqué d’y échapper et ça m’a permis de mieux comprendre des camarades qui ont parfois un peu vrillé sur cette question.

Pour autant, ce relatif isolement n’aura pas posé de problème insurmontable dans la confrontation avec la direction. Je ne dis pas avoir toujours dormi sereinement en amont ou après une réunion conflictuelle, ou d’avoir toujours atteint le niveau de conflictualité que j’envisageais dans un souci d’auto protection. J’ai le souvenir d’avoir essuyé seul la colère du directeur général suite à une alerte pour danger grave et imminent qui ne lui avait pas du tout plu (en lien avec l’accueil de personnes réfugiées et sans-abris expulsées de Paris dans le cadre du « desserrement » comme ça a été nommé avant, pendant, et encore après les JO de 2024) mais globalement je trouve que ça s’est bien passé. Pour une raison en particulier : je me fiche des traits d’humeurs des personnes que je combats et du niveau d’estime qu’elles ont pour moi. Le boulot, c’est de porter une revendication, défendre un ou des collègues, le ou la ou les représenter, et ce sont les seules personnes, avec les camarades de ma section syndicale, qui ont un avis qui m’intéresse.

Parlons de l’externe

On a la chance d’avoir une intersyndicale sectorielle SUD/CGT/FO qui fonctionne bien et se démène au niveau du département pour construire des appels et des mobilisations à chaque fois que c’est impulsé au niveau national. Ça permet d’avoir déjà une base de travail saine, malgré nos faibles nombres respectifs de militants (eux pire que nous par ailleurs…). C’est aussi à relativiser : c’est dur de trouver du relai, et nous n’avons aucune capacité d’impulsion. Mais au moins, ça bouge de temps en temps !

Puis il y a le travail fédéral, qui avance, surtout sur notre commission sectorielle qui abat un taf énorme malgré notre choix collectif de ne pas avoir de salarié dans la fédération syndicale au contraire des autres organisations. L’inconvénient : ça coûte cher en énergie puisque les casquettes se multiplient. L’avantage : on parle de ce qu’on vit, ce qu’on constate ; on fait partie de la base ! Notre secteur a ce qui doit être les dernières conventions collectives sans critère classant. Evidemment, le patronat main dans la main avec les gouvernements capitalistes luttent depuis des années pour parvenir à les imposer. Nous résistons tant bien que mal, mais là encore, ça demande beaucoup d’énergie.

À côté de ça, c’est moins reluisant. Nous sommes un syndicat qui a la particularité de conjuguer public (fonction public hospitalière) et privé (asso à but non lucratif du social et médico-social pour résumer). Dans mon département, il y a une différence majeure dans la culture de la lutte et des valeurs portées par le syndicalisme à la SUD. J’avoue avoir été surpris de voir le fonctionnement de certaines sections et du département. Je pensais qu’avoir l’étiquette était gage d’un militantisme carré sur les fondamentaux : l’auto organisation, la démocratie directe, la solidarité… Et bien nous n’y sommes pas ! C’est un vrai choc pour moi qui idéalisait probablement trop l’Union Syndicale Solidaires en général. On est loin des problèmes rencontrées dans les centrales syndicales avec culture du chef et tout et tout, mais quand même. Chez nous, la priorité est donnée aux goodies plutôt qu’à la solidarité matérielle ; à décider pour les autres ; à empêcher l’auto organisation des camarades. Tout ça probablement par peur de se faire bousculer dans une routine installée depuis bien longtemps (qui ne fonctionne pas par ailleurs, puisque le syndicat est particulièrement faible numériquement parlant). C’est ce qui m’a le plus touché moralement en 2023 et 2024, plus que de me battre contre un ennemi identifié comme une direction. Pire encore, Solidaires 56 connaît une crise qui ne fait que de s’aggraver, avec un phénomène typique de repli sur soi de militantes et militants qui estiment être victime d’attaque systématique de toute part, après avoir été ciblé par un individu. Il n’est même plus possible de simplement questionner les pratiques pour aller vers du mieux. On doit parfois gérer des dingueries qu’on pense réserver à la sphère professionnelle. Ça coûte en temps, énergie, et motivation. Je me suis d’ailleurs bien éloigné de Solidaires 56, et je risque de faire de même pour notre syndicat départemental si rien ne bouge voir s’aggrave. Et puis le syndicat reste un outil, on n’est pas marié avec. Ce n’est pas beaucoup mieux au niveau fédéral, les temps de débats étant embolies par les problématiques internes. Dans ces 3 espaces, le même problème revient : nous avons peu (pas) de discussions politiques. Et sans débat de fond, on ne construit pas une riposte à la hauteur des enjeux. Pas étonnant que la gauche aujourd’hui soit en panne d’idée si c’est comme ça dans toutes les organisations (ce que j’imagine pourtant…).

Conclusions

Difficile de condenser 3 ans sans en faire un pavé indigeste, ce à quoi ce texte tend. Je n’évoque pas les nombreuses luttes hors de la boîte auquel j’ai pu participer à différent niveau, on n’en finirait pas ! Je repars pour un nouveau mandat, probablement dans des conditions similaires sauf sur le nombre d’élu dans la boîte. J’espère avoir besoin de mes deux mains pour nous compter, ce serait formidable, bien que pas gagné. Le boulot va être pendant un temps de transmettre, former… et m’adapter ! C’est que j’ai construit mon taf de militant syndical seul. Je vais donc devoir apprendre à lutter quotidiennement à plusieurs, partager tâches et responsabilités. Celleux à qui c’est arrivé sauront de quoi je parle et en quoi ça représente un vrai défi à ne pas prendre à la légère. Mais on va y arriver. La seule chose à toujours garder en tête : on bosse avec et au service d’un collectif. Nous allons aussi assister au retour d’une section CFDT après plus de 10 ans d’absence, qui laissait SUD santé sociaux comme seul syndicat dans la boite. Pour quelles conséquences ? On verra !

Bisous